Mesurant un mètre soixante-neuf pour approximativement cinquante-cinq kilos, Katerina n’a pas une silhouette qui attire particulièrement l’attention. Les épaules carrées, elle a la musculature que l’on attend d’une soldate de sa trempe. On pourrait même dire qu’elle pourrait passer relativement inaperçue.. s’il n’y avait pas un détail de taille. Sa  longue chevelure d’un auburn soutenu. Habituellement, la jeune femme la noue en une tresse sévère, ou encore une chignon bien serré pour éviter un accident avec l’équipement tri-dimensionnel. On n’est jamais trop prudents. Ses yeux sont d’un gris acier assez dur, souvent pleins de défi ; même si plus récemment, ils paraissent plus souvent vides qu’autre chose.

A noter que la peau blanche de Katerina est marbrée de cicatrices plus ou moins visibles, vestiges d’expéditions. La plus remarquable, quoiqu’un peu effacée, étant celle qui court le long de sa mâchoire, près de l’oreille ; mais elle reste cachée derrière une mèche de cheveux. C’est son petit pense-bête personnel ; celui de la fois où elle a laissé sa colère prendre le dessus sur son bon sens. Elle lui permet de se rappeler d’être prudente, et de ne rien tenter de..stupide. Pour le moment ça marche, mais qui sait?

Dernier détail enfin : la jeune femme reste toujours tirée à quatre épingles. Pas un pli de travers sur sa chemise blanche, ni une tache sur sa veste, ni une mèche de cheveux qui dépasse. C’est pour elle une affaire de crédibilité.

Hargneuse. C’est le premier mot qui vient à l’esprit quand on décrit Katerina. Il y a toujours en elle cette colère, cette insatisfaction permanente ; et depuis qu’elle a appris l’existence des Titans - ces créatures du démon qui forcent l’humanité à rester à l’abri derrière les Murs -,  un feu de révolte primaire allumé en permanence, et qui ne pourra s’éteindre que le jour où ils auront tous disparu,. Ils lui ont pris sa liberté, ses amis, son compagnon ; ils ont privé les résidents du Mur Maria de leur foyer et pour nombre d’entre eux leurs vies. Leur existence est une pure et simple aberration, une erreur de la nature.  Elle déteste à quel point ils sont plus grands, plus forts qu’eux ; que malgré l’équipement de tri-dimensionnalité, ils peuvent écraser un être humain comme s’il s’agissait d’un insecte. Et pourtant elle éprouve une certaine fascination pour eux. Elle veut les comprendre, les étudier, en savoir plus sur eux, pour mieux les éliminer. La curiosité a toujours été l’un de ses défauts - mais ce n’est pas le pire.Ca, c’est l’impulsivité.

D’autant que la rouquine se souvienne, elle a toujours été du genre à s’enflammer pour un rien. Un regard méprisant, une réflexion qui ne lui plaît pas ; et c’est parti, il faut qu’elle morde à l’hameçon, chose dont certains de ses camarades de formation ont longtemps profité. Et cela donnait lieu à des scènes navrantes : engueulades publiques, bagarres, croche-pieds, coups bas - tout pour se rendre mutuellement chèvre. Les années passant, elle a commencé à tenter de maîtriser son caractère de cochon, surtout maintenant qu’elle est dans les Bataillons, mais ce n’est pas simple. Il est difficile, tellement difficile, de voir un compagnon se faire attraper ou dévorer sans pouvoir foncer à sa rescousse..Vouloir sauver quelqu’un est noble, mais si elle ratait son coup..cela ferait deux vies sacrifiées inutilement.  Alors elle serre les dents, les poings tremblants, et elle fait semblant de passer outre, la culpabilité sur ses talons.  Elle a déjà commis une grossière erreur une fois  ; pas deux.

Désobéir directement à un ordre de son supérieur aussi. L’autorité a toujours été un sujet délicat, avec elle, puisque Katerina part du principe que ce n’est pas parce que la personne en face est plus gradée qu’elle qu’elle est forcément compétente. Son respect, il faut le gagner ; il faut lui donner envie de vous suivre. Comme lorsqu’elle a vu le Commandant Smith pour la première fois, lorsqu’il est venu recruter des soldats pour le Bataillon. Elle l’a vu parler ; elle a été hypnotisée par son aura ; et l’instinct d’après elle était prête à le suivre jusqu’à la mort. Elle n’a jamais supporté la contrainte injustifiée. Il faut prendre le temps de lui expliquer, calmement..raison pour laquelle elle a très mal vécu la 57ème expédition. Mais elle faisait confiance au Commandant, à son propre supérieur direct, alors elle a serré les dents, une fois de plus. Ce qui fait d’elle une arme à double tranchant : elle peut être aussi bien un vrai cadeau par sa loyauté et son sens de la dévotion qu’un fléau si elle a décidé que la tête de son supérieur ne lui revient pas - en disant qu’il ne lui inspire pas assez confiance pour qu’elle place sa vie entre ses mains.  C’est, durant sa formation, ce qui lui a valu le qualificatif “ d’indisciplinée chronique.”

Et pourtant il y a plus en Katerina que cet air de chien hargneux auquel beaucoup s’arrêtent ; tout d’abord, une sacrée détermination. Quand elle a une idée en tête, elle va jusqu’au bout, il est difficile de lui faire baisser les bras pour de bons. Elle le dit elle-même “ Mon père ne m’a pas élevée pour que je devienne une dégonflée”, et l’opinion de son père fait force de loi. Toujours, elle essaye d’aller de l’avant (Si je regarde en arrière je suis perdue).C’est pour cela, que malgré les morts qu’elle voit à chaque expédition,malgré la perte d’Immanuel, elle continue à positiver, à se dire que oui un jour le Bataillon pourra régler définitivement son compte à ces saletés de Titans. Qu’à chaque expédition, ils font un progrès, même s’il n’est pas net et après tout, c’est difficile de le dire sur le moment - sauf pour la 57ème expédition, qui a tourné à la boucherie sans sens, mais après tout, peut-être que les hauts-gradés savent ce qu’il en retourne, eux. Elle, elle n’est que soldat pour le moment, et c’est très bien comme ça. Si elle est parfaitement capable théoriquement de diriger une troupe, dans les faits, elle n’arrive pas assez à se faire confiance pour seulement imaginer être responsable de quelqu’un d’autre que d’elle-même sur le terrain.

Ajoutons à cela qu’il est extrêmement difficile de la faire changer d’avis..et parfois, c’est une question de fierté. Elle ne peut supporter l’idée d’apparaître comme “faible” en changeant brusquement d’avis sur quelque chose..quitte à commettre des erreurs.  Dans le même état d’esprit,  elle est terriblement rancunière, et n’oublie jamais une offense qu’on lui fait. Ce qui a tendance à rapidement biaiser son jugement sur son interlocuteur, et empoisonner un peu ses relations avec autrui. Et pourtant il y a en elle ce côté incontestablement altruiste, qui se préoccupe des autres. Elle ne peut simplement pas laisser autrui dans la panade, et c’est ce qui la tue un peu plus à chaque fois qu’elle voit un camarade périr face à un Titan. Elle essaye toujours de remonter le moral des autres membres des Bataillons ; et du temps de sa formation, elle était la première à suggérer des séances d’entraînement en commun en cas de difficulté, à aider ses camarades.

On ne peut lui retirer, de plus, sa franchise. Elle dit les choses comme elle le pense, sans filtre ; au nom de quoi devrait-elle atténuer ce qu’elle dit ? Elle a tellement vu de mensonges, d’insinuations, de phrases apparemment polies mais en réalité meurtrières, qu’elle a décidé de prendre le total contre-pied de ce genre d’attitude.  Ce n’est pas qu’elle ne sait pas mentir, mais qu’elle ne le veut pas - et quand cela lui arrive, c’est généralement pour protéger son interlocuteur. En revanche, elle n’aime pas spécialement parler de sa vie d’avant. De l’époque où elle était une petite fille du mur Sina née avec une cuillère en argent dans la bouche. Tout ceci, pense-t-elle, n’est qu’un prélude à ce qu’elle est maintenant.

Le Mur Sina. Pour beaucoup,  y vivre serait un rêve. On y est en sécurité, loin des Titans, proche du pouvoir. L’assurance de ne pas mourir de faim.

Mais pour d’autres, y vivre était un cauchemar. Katerina Volkov est de ceux-là. Où qu’elle posât le regard, elle ne voyait au loin que ce fichu Mur qui l’emprisonnait, lui bouchait la vue et l’horizon..et ses perspectives d’avenir. Le tout début de sa vie n’avait pas été si horrible pourtant. Son père, bien que souvent absent, était attentif à elle ; et sa mère était aimante, courageuse et douce. Il en fallait du courage et de la ténacité pour rester dans la grande demeure des Volkov alors que son militaire de mari était occupé toute la journée à la Garnison d’Ehrmich ; mais épouser un homme raisonnablement bien placé dans la hiérarchie de la Garnison, cela entraînait ça. Alors Aislinn faisait avec. Passant toute sa journée avec leur fille unique. Remuante comme elle l’était, il valait mieux surveiller sans arrêt la petite. A peine sut-elle marcher, que Katerina vadrouillait déjà dans toute la maison.

Mais tout a une fin. La vie de Katerina bascula quand sa mère tomba grièvement malade, et mourut, l’année de ses sept ans. Et alors qu’il lui semblait basculer dans un désespoir sans fond, entendant les remarques désagréables de la femme de son oncle Konstantin, elle arriva. Elle, celle que Katerina ne tarda pas à surnommer “la sorcière” dans son for intérieur. Cette femme, de la haute bourgeoisie de Sina comme les Volkov, qui passait son temps à se rengorger d’avoir rejoint une famille si bien considérée. Qui voyait Katerina comme une nuisance - la preuve qu’une autre femme était passée avant elle, que le coeur de son mari appartenait à un fantôme, alors que Mariana était encore bien vivante. A chaque mot ou geste de la petite fille, elle se plaignait. Elle est trop bruyante, elle est trop remuante, elle est mal élevée, elle répond mal quand on lui parle, elle a mauvais caractère, elle s’énerve si vite. Alors que Mariana avait ses propres plans. La transformer en une parfaite demoiselle des murs, une petite princesse, qui ferait un beau mariage et permettrait encore plus aux Volkov de s’élever dans l’échelle sociale.

Sauf que non. La sorcière ne pouvait pas arriver comme ça et annoncer de but en blanc qu’elle remplaçait sa maman, avait décidé Katerina. Elle détestait ses manières, sa bouche pincée, sa manie de se retenir, son arrogance. Alors la petite rouquine commença une véritable vendetta contre sa nouvelle belle-mère. Tâchant ses robes. Se montrant grossière, avec des attitudes de garçon manqué. Et plus tard, en sabotant toutes les opportunités de mariage que Mariana pouvait trouver. Son plus grand plaisir était de s’éclipser discrètement de la maison,et se cacher pendant plusieurs heures. Comment il ne lui arriva pas d’accident, ce fut un miracle. Elle aimait se percher en haut d’un arbre, et elle observait l’horizon, ou plutôt...ces murs.Ces murs, elle les détestait. Ils l’enfermaient. Et il fallait qu’elle aille au delà. Mais comment ? En rejoignant l’armée.

On dit qu’un bébé rapproche les membres d’une famille ? Ce ne fut pas le cas, lorsque Katerina devint grande soeur. C’était l’enfant de Mariana, pas celui de Papa. Et c’était un garçon. Enfin, avait osé lâcher Grand-père Iosif, approuvé par Oncle Konstantin. Enfin un garçon pour continuer la longue, très longue, tradition familiale de rentrer dans l’armée et de rejoindre les Brigades..et ce, depuis qu’elles avaient été créées - c’était même ce qui leur avait permis de vivre ici, dans le Mur Sina.  Eh oui. Katerina était fille, elle ne serait jamais bonne à rien à cause de ce fichu caractère ; avec ce petit garçon qui venait d’arriver, peut-être pourrait-on arriver enfin à quelque chose de bien ! Elle avait neuf ans, et pourtant elle ressentait toute l’injustice de ces mots.

Et qu’est-ce que ça fait, de sous-entendre à une petite fille qu’elle ne serait bonne à rien ?
Ca la fait prouver qu’elle était aussi bien qu’un garçon, qu’elle pouvait courir aussi vite qu’un garçon, qu’elle pouvait monter à cheval aussi bien qu’un garçon, qu’elle pouvait se bagarrer comme un garçon.
Ca la fait s'énerver pour un rien à longueur de journée.
Ca la fait regarder tout et tout le monde avec l’oeil du fauve prêt à jeter sur sa proie.
Ca la fait devenir presque vicieuse dans ses vengeances.
Ca la fait s’amuser à faire fuir beaucoup de précepteurs qu’on lui imposait, jusqu’à ce qu’elle trouve ceux qui lui plaisent. La professeur de danse, en revanche, elle n’était pas obligée de revenir.
Ca la fait rêver d’autre chose, d’une vie au-delà du mur Sina. D’une vie où enfin elle pourrait être elle-même. Libre.
Ca la fait rêver de devenir comme son père. Ou mieux, comme son oncle Yulian, celui qui avait rompu avec la tradition familiale de rejoindre les Brigades Spéciales pour aller tâter de l’exploration.
Ca la fait cracher sur les autres membres du Culte du Mur auquel appartenait la sorcière et dire en public qu’ils étaient restés trop longtemps au soleil, vu que leur cerveau semblait avoir grillé.
Ca la fait mépriser les soldats des Brigades Spéciales qui sont tellement courageux qu’ils se cachent au plein milieu du Mur Sina.
Ca la fait mépriser tout ce qui se rapproche de l’autorité.
Bref, aux yeux de tous les Volkov (sauf son père), ça la fait devenir insupportable.

Et après des années d’étouffement, d’humiliation,de menaces de correction, de petites réflexions à véritables insultes proférées sur un ton d’exquise politesse, ça la fait tout plaquer l’année de ses treize ans pour aller s’engager, en 844... Mais elle avait préparé le terrain en amont..elle avait discuté avec son père, qui avait tenté de la dissuader pourtant. L’armée c’était dangereux, la formation serait l’enfer. Les Brigades Spéciales étaient encore sûres ( et c’était bien pour ça qu’oncle Konstantin et son fils en étaient, pour ne citer qu’eux), la Garnison oui ça allait encore..mais l’Exploration..c’était ce qui avait pris la vie d’Oncle Yulian, doté du même caractère qu’elle. Alors elle avait menti. Elle avait prétendu ne pas savoir, encore ; mais qu’elle sentait qu’il fallait qu’elle fasse quelque chose. Que la vie de jeune mariée vivant dans le mur Sina ne lui conviendrait jamais. Qu’elle voulait être courageuse comme lui - et comme Maman.

Et c’était ainsi qu’elle se retrouva à cuire en plein soleil alors que le chef formateur les disséquait tous de son regard, repérant et humiliant les nouvelles recrues.au gré de sa marche..jusqu’à ce qu’il s’arrête devant Katerina. Il y avait quelque chose, chez elle, qui incitait à la repérer. Le regard qui disait qu’elle ne se laisserait pas discipliner facilement ? Son air de petite bourgeoise, avec sa longue tignasse rousse bien peignée et sa belle chemise bien blanche en tissu de bonne qualité, ses mains qui montraient qu’elle n’avait pas subi un jour de travail manuel ? Son teint bien rose, des joues bien pleines - le visage de quelqu’un qui n’a jamais connu la faim ? Peut-être tout ça. Et là, l’humiliation publique : le chef formateur rappela haut et fort que le nom Volkov était connu, et que par conséquent, il ne fallait pas qu’elle s’imagine que cela lui donnerait un quelconque passe-droit. Et à sa question “ Pourquoi es-tu venue, Katerina Volkov de Mitras ?”, elle répondit “ Pour rejoindre le Bataillon d’Exploration.”, occasionnant des regards choqués...et une nouvelle réplique humiliante de son formateur.

Ou comment s’attirer les foudres d’une pré-adolescente en colère contre le monde entier, comment la faire répliquer, et poser les bases d’une dynamique compliquée entre Katerina et ses instructeurs..

Ou peut-être de la pousser à donner son maximum pour qu’elle construise son parcours militaire par elle-même ? En tout cas, ce fut ce qui se passa. L’épreuve pour juger si les recrues étaient aptes à utiliser l’équipement tri-dimensionnel fut si facile. Mais la suite..Trois années de souffrance, de fatigue, de privations, de motivation qui flanche, de blessures, de crampes aux jambes, aux bras, de hurlements quotidiens, de tours de terrain, d’épluchage de patates, de corvée de fumier en guise de punition. Des années de camaraderie aussi, d’encouragements, de soutien, d’amitié aussi. Trois années qui passèrent vite, et lentement à la fois. Trois années qui furent marquées par l’attaque de Shiganshina et la chute du Mur Maria. Horreur. Colère. Des discussions animées autour des tables du réfectoire des recrues. Et pour Katerina, l’illumination - la confirmation qu’elle faisait le bon choix. Non, elle ne pouvait pas retourner tranquillement à la Capitale alors que des milliers de personnes devenaient des réfugiés. Non, elle n’allait pas se terrer dans un trou pour éviter les Titans. Oui, il fallait reprendre ce qui avait été perdu ! Oui, il fallait se battre ! Et c’était ce qu’elle essayait de dire, inlassablement, à ses camarades. Mais dans beaucoup de cas, c’était comme pisser dans un violon.
Sauf lui.
Lui, Immanuel, un de ceux qu’on pressentait pour être la tête de la promotion. Un garçon calme, réservé en apparence, à qui la rouquine n’avait jamais tellement trop parlé auparavant.
Qui venait de perdre son foyer, étant originaire du Mur Maria..
Et qui brûlait d’une rage froide.
Et qui devient très vite le meilleur ami de Katerina..

Ce fut donc sans un regret qu’elle rejoignit le Bataillon d’Exploration, en 847. Katerina avait seize ans, un caractère épouvantable et la hargne de se battre. Mais était-ce suffisant ? Non. Être 7ème de la 101ème Brigade d’Entraînement ne pouvait pas préparer à l’horreur qui l’attendait hors du mur Rose : les Titans. Immenses, immondes. Rien -rien-  ne pouvait préparer à l’horreur de voir des camarades (alors que vous avez passé trois ans de formation avec certains d’entre eux) se faire dévorer par les Titans juste devant vos yeux alors que vous ne pouvez que galoper pour sauver votre peau, parce qu’il est trop tard pour  sauver celles des autres. Peur, dégoût, larmes de colère et de frustration. Et l’impression de devenir un monstre.
Et pourtant. Quand on s’appelle Katerina Volkov, et qu’on se retrouve face aux monstres qui vous ont condamnés à vivre cloîtrés dans des murs, on a envie de foncer les réduire en tranches en hurlant de rage.
Ca vous pousse à désobéir à votre supérieur direct  pendant l’expédition suivante, à foncer pour tuer un de ces monstres, au mépris de la prudence, au point même que vous n’arrivez même pas à concevoir qu’il puisse ne pas être seul. Ca vous fait commettre des erreurs.
Et ca force un de vos camarades à vous sauver la peau alors que vous n’arrivez plus à réfléchir, tant vous avez peur après avoir entendu un grognement de Titan juste derrière vous. Et ça vous fait avoir un bel accident.
Et ça vous fait vous réveiller dans un chariot de blessés, les côtes et le visage bandés, en pleurant à cause de votre inconséquence en voyant la personne que vous aimez le plus au monde un peu amochée mais pas morte, ça vous pousse à demander pardon (Pardon Immanuel je suis tellement désolée j’aurais pu te faire tuer).
Ca vous fait réaliser que parfois, suivre les ordres, ça peut être une bonne idée.
Et enfin, ça vous force à ne plus vous conduire comme une imbécile de tête brûlée, comme disaient tous vos formateurs, en référence à votre habitude de foncer tête baissée.

La leçon  fut amère à avaler. Katerina avait été arrogante, beaucoup trop, et elle en payait le prix. Elle qui ne voulait que tuer du Titan..être utile..se retrouvait coincée à l’infirmerie jusqu’à que ses côtes guérissent, avec sa culpabilité et sa honte pour seules compagnes. Peu importait que ce qu’Immanuel disait. Comme toujours, il était beaucoup trop gentil avec elle. L’avait toujours été, depuis qu’elle l’avait rencontré du temps de la 101ème brigade. Si tu veux vraiment te rattraper Katya, reste en vie, disait-il, avec son regard couleur forêt ,ses yeux toujours si pleins de douceur. C’est tout ce qui importe. Mais la vie continuait. Il fallait qu’elle se relève, en ayant appris de cette erreur. Et on ne l’y reprit plus. On la retrouva plus acharnée que jamais à l’entraînement...et plus disciplinée que jamais lors des sorties. Une fois mais pas deux. Elle ne prendrait plus le risque - plus jamais- de mettre en danger un camarade par son attitude.Alors elle apprit -finalement, à réfléchir davantage dans ses stratégies. Elle savait qu’elle ne réfléchissait pas toujours dans les cadres traditionnels - mais au moins elle essayait, hein ?

Et arriva la 57ème expédition, en 850, partie sous de meilleurs auspices pourtant. Le Titan Colossal était réapparu certes, Trost avait été attaquée certes, mais cette fois..cette fois l’humanité avait pu contre-attaquer, grâce un dénommé Eren Jäger, capable de se transformer en Titan..Information qui la laissa perplexe. Pantoise. N’était-il pas un traître, ce gamin, s’il pouvait se transformer en Titan ? Comment était-ce possible ? Et pourtant, grâce au Commandant Smith, il avait rejoint le Bataillon. Elle l’avait aperçu de loin, croisé à plusieurs reprises ; il lui avait bonne impression, mais elle ne savait toujours pas composer avec cette information. Enfin, elle avait plus urgent à penser, non ?

Mais cette expédition fut un carnage. La faute à un Titan bien plus intelligent que les autres, un Titan féminin..Tout ça pour rien. Katerina avait grandi, avait évolué, avait progressé..et au final elle était toujours la même gamine qui ne pouvait que fuir, toujours fuir, alors qu’Immanuel était en proie au titan féminin en lui hurlant de s’en aller. Un horrible bruit de collision plus tard, c’était fini, et elle pleurait, pleurait, pleurait au rythme du galop de son cheval, les souvenirs plein la tête. Sa gentillesse, sa bonté, son empathie, son intelligence, ses Katya je t’aime, ses sourires quand elle lui répondait moi aussi, la douceur de ses mains lorsqu’il tenait la sienne.Tout ceci, réduit à néant en un instant..tout comme tant d’autres, dont ils durent laisser les cadavres.

Tout ça pour rien. Katerina ne pouvait que fixer le sol sur le chemin du retour. Elle ne voulait parler à personne, elle ne pouvait supporter l’idée de croiser le regard de qui que ce soit..et surtout pas celui d’un civil.

Mais Sina était en cendres. Pendant que le Bataillon était parti dire bonjour au Titan Féminin, une rébellion avait éclaté, et le roi était mort, remplacé par ce qui lui paraissait être un illustre inconnu. De mieux en mieux. Et il en fallait encore une couche. Naïle Dork, le Commandant des Brigades Spéciales, fut assassiné, et l’on accusa le Commandant Smith de ce méfait. Même dans son état, la jeune femme ne put s’empêcher d’être outrée - ou plutôt, ce fut ce qui la fit sortir partiellement de cet état de carapace vide dans lequel elle végétait. Oui d’accord, elle était peut-être fâchée parce qu’ils avaient été tenus dans le noir le plus complet pendant la mission et qu’il avait certainement trois coups d’avance sur tout le monde mais..ce n’était pas une raison pour croire à sa culpabilité ! Quel intérêt aurait-il eu d’assassiner son collègue des Brigades ? Déjà que les Brigades et le Bataillon n’étaient pas connus pour fonctionner la main dans la main...et maintenant les deux régiments se retrouvent sans chef, à la dérive..Et le pire dans tout ça ? Le nouveau Roi a interdit les expéditions. Autant dire que la rouquine bouillonne. Le Bataillon d’exploration, c’est toute sa vie, c’est sa nouvelle famille ; tuer les Titans, c’est sa vocation, c’est la seule chose qu’elle sache faire. Alors qu’on la prive de ça..c’est aussi inhumain que de couper les ailes d’un oiseau, et elle n’entend pas accepter sagement cette décision.