La résidence des Weber était de ces maisons à la façade impeccable et digne, mais qui ne révélaient leurs véritables fastes et richesses qu'une fois le seuil franchi. Les boiseries sombres et lustrées sur les quelles se reflétaient l'éclat chaud des nombreuses bougies, les tapis épais et parfaitement entretenus, le marbre et dorures des meubles, la porcelaine si délicate qu'elle en était translucide d'un vase débordant de fleurs fraîchement coupées aux pétals parfaits. Tout semblait être soigneusement millimétré et agencé, pas une trace de poussière ou de quoi que ce soit qui pourrait détonner. C'est dans cet univers que Levi fut introduit par un majordome à la livrée impeccable après qu'il se soit présenté, l'homme aux cheveux grisonnants n'avait émit aucun commentaire même si son sourcil gauche s'était légèrement soulevé.

-Effectivement, monsieur Levi. On m'avait prévenu que vous étiez attendu. Si vous voulez bien me suivre, Mademoiselle va vous recevoir dans son bureau.

Il n'avait ensuite plus accordé un mot ni un regard au soldat, considérant l'affaire réglée de ce côté-ci, le guidant d'un pas souple et de celui qui connait le moindre centi-mètre du domaine qu'il arpente. Il guida Levi dans le grand hall imposant du manoir passant sous le regard fier de feu Geralt Weber, alors dans la fleur de l'âge le doré de sa chevelure grisonnant sur ses tempes mais se tenant droit et régalien. Sa main posée sur l'épaule d'une jeune femme tout aussi blonde gracieusement assise dans un fauteuil rouge, sa main grâcile rejoignant le poignet de celle de l'homme. L'artiste avait par quelques tours secrets de son art à faire ressortir la tendresse infinie de ce geste. Les deux paires peintes d'yeux azurés suivirent le petit cortège traverser l'ensemble de leur domaine, tout la pièce que le feu l'immense âtre qu'ils surmontaient pouvait éclairer dans cette sombre nuit. De la grande porte à double battant jusqu'aux escaliers avec leur garde-corps métallique formant des arabesques et dessins complexes. Le majordome emprunta les marches toujours sans un regard pour Levi, montant ainsi jusqu'au deuxième étage.

Les couloirs étaient moins éclairés que le grand hall, seulement quelques bougies étaient allumés, mais la lumière argentée de la lune entrant par les grandes fenêtre donnant sur un petit jardin intérieur suffisait à savoir où l'on mettait les pieds. Le guide de Levi s'arrêta devant une nouvelle porte à double battant, moins massive et décorée que celle de l'entrée mais que ni manquait ni d'allure et d'élégance. Cela dit, un oeil averti aurait sans doute remarqué ses gonds renforcés et sa serrure qui n'avait absolument rien de décoratif. Pour ceux et celles qui savaient voir, il ne faisait aucun doute que la personne qui avait fait installé cette porte ne tenait pas à ce qu'elle puisse être passée facilement si le maître, ou la maîtresse, des lieux ne l'autorisait pas. Dans une posture toujours droite et mesurée, le majordome frappa à la porte. Il attendit précisément deux secondes après que sa main ait percuté le bois à trois reprise, composant ce qui pourrait presque s'apparenter au début d'une mélodie. Le tout sans une hésitation, sans un mouvement inutile et maladroit, l'homme effectuait juste une chorégraphie parfaitement huilée qu'il connaissait sur le bout des doigts et qui ne se souciait guère des regards des étrangers à son petit univers. Tout dans cette demeure vivait et se mouvait selon des règles très particulières sur lesquelles celles du monde extérieur n'avait aucune emprise. Les intrus devaient s'y plier aussi ou bien subir la politesse lisse et détachée des locaux, et pour le moment Levi n'avait clairement pas passé le rite d'entrée pour le majordome. Sans doute ne serait-ce jamais le cas, mais cela n'avait au fond que peu d'importance, sauf pour le majordome cependant les désirs de sa maîtresse passaient avant tout.
Ces deux secondes passées, l'homme ouvrit la porte de précisément cinq centimètres, juste assez pour que son visage et les trois quart de son corps soient visibles, mais pas Levi.

-Mademoiselle, monsieur Levi… Tout court, il glissa un bref regard en coin au petit brun comme s'il ne se remettait toujours pas d'avoir mené une personne sans patronyme et avec une mine si patibulaire jusqu'au coeur de la maison de sa jeune maîtresse. Désirez-vous le recevoir maintenant ou dois-je l'emmener patienter ailleurs, le petit salon par exemple ?

Il aurait préféré dire "à l'office", ou mieux encore "lui montrer la porte", mais se contenait malgré tout il ne voulait pas mettre potentiellement sa maîtresse dans l'embarras ou lui déplaire, quoiqu'il en pense il se devait d'accueillir convenablement tous les visiteurs et d'autant plus les invités directs de mademoiselle Weber. Enfin, dans une certaine mesure quand même, il n'aimait vraiment pas la manière de présenter de ce Levi.

-Merci, Basile. Vous pouvez le faire entrer dès maintenant, nul besoin de laisser notre ami attendre plus longtemps.

-Bien, Mademoiselle.

Basile, puisque le majordome portait ce nom, inclina légérement la tête avant d'ouvrir complètement la porte et de se placer de telle manière à inviter Levi à entrer.

-Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis à votre disposition.

-Merci, Basile.

Et la porte se referma, laissant Levi seul avec Wilhermine Weber dans son bureau.Les lieux étaient grands, de la taille d'une grande chambre plutôt que celle d'un bureau. Un âtre en pierre blanche occupait le mur de droite, les jambages étaient gravés de figures de nymphes et dryades dansantes, sur le plateau décorés de lauriers il y avait toute une série de petites potiches délicates et absolument charmantes, et certainement coûtant chacune au moins un bras. Le reste du mur, ainsi que la totalité du gauche était recouvert de bibliothéques, étagères et armoires sous clef. On devinait le contenu de certaines derrière les vitrines ovales donnant un aperçu sur ce qui devait être des livres de comptes, des rapports compilés, des archives et autres documents importants, certains devaient être récents et d'autres avaient clairement parcouru des décénnies.
Le sol était composé d'un plancher en bois d'une teinte à la fois sombre et chaude, de l'acajou sans doute, parfaitement ciré, recouvert d'un épais tapis grenat au centre de la pièce. Sur lequel avait été placé deux petits canapés et deux fauteils aux coussins dodus et qui semblaient crier "JE SUIS LA CHOSE LA PLUS CONFORTABLE SUR LAQUELLE TU POSERAS JAMAIS TON POSTERIEUR" ainsi q'une table basse au plateau de marbe blanc complétement poli assortis. Cela semblait délimiter un espace de discussion plus détendu et faussement informel que celui du grand bureau qui faisait face à la porte.
L'immense majorité du mur faisant face à la porte n'était qu'une immense baie vitrée offrant une vue imprenable sur le jardin intérieur ainsi que sur le reste de la résidence. Et placé au centre de cet espace de verre il y avait le grand et long bureau du dirigeant de la famille Weber, couvert de piles de documents organisés, d'une lampe à huile luxueuse qui brûlait vivement pour éviter de s'aveugler durant les heures de travail nocturne, un plumier et encriers assortis et dorés, deux fauteuils placés devant actuellement inoccupés. Et derrière ce dernier, il y avait la raison de la présence de Lévi à cet endroit. Et les grands yeux bleus de cette dernière regardait Levi alors qu'un sourire doux était peint sur ses lèvres.

Elle avait de vrais airs de poupée avec sa longue chevelure d'or rassemblée en une queue de cheval élégante, les dentelles de sa chemise blanche décorée d'une jolie broche, sa jupe aux motifs imprimés froufrouttante de jupons alors qu'elle se levait pour se diriger vers le soldat. Une jolie poupée de porcelaine que l'on aurait pomponnée et apprêtée qui toute souriante saisit la main du gradé pour la serrer. Une poupée avec des taches d'encre au bout des doigts.

-Bonsoir, caporal-chef Levi. Je suis ravie de faire votre connaissance, vous m'avez été chaudement recommandé ! Merci d'avoir fait le déplacement, il ne manque plus que Katie chérie et nous pourrons discuter sérieusement ! En attendant installez-vous, je vous en prie. Vous désirez un rafraîchissement ? Il doit rester un peu du porto de Père quelque part, une excellente bouteille si j'en crois ses dires, mais sinon je peux demander à ce qu'on nous monte quelque chose.

La mauvaise humeur grondante et franche de Levi semblait glisser sur la blonde comme de l'eau sur du papier huilé. Presque comme si elle ne la remarquait pas, son expression souriante restait inchangée et sa gestuelle calme, il ne faut pourtant pas oublier de se méfier de l'eau qui dort. Wilhermine avait tout à fait conscience de l'hostilité palpable et prononcée de l'homme, encore une fois il ne faisait rien pour la cacher, il n'avait absolument aucune envie d'être là et détestait chaque seconde qu'il y passait. Elle s'en fichait pour elle, qu'il veuille être là ou non n'avait absolument aucune forme d'importance pour elle. Il était présent, c'était tout ce qui comptait, ça et ce qui allait suivre. Vraiment, les sentiments et les états d'âmes du caporal-chef ne lui faisaient ni chaud ni froid actuellement. La demoiselle Weber continuait donc de présenter son aspect de parfaite maîtresse de maison accueillant un hôte.
Ceci-dit, heureusement pour l'ambiance générale, qui gisait déjà au sol à moitié morte de froid suppliant qu'on l'achève, ils ne restèrent seuls pas bien longtemps. Katerina Volkov déboula dans la salle, pas plus contente d'être là que son supérieur et le cachant tout aussi peu. Encore une fois la mauvaise humeur manifeste de son hôte sembla ne même pas être remarquée par la maîtresse des lieux qui accueillie la nouvelle venue avec un sourire rayonnant.

-Katie, te voilà enfin ! Justement je venais de parler de toi au caporal-chef, décidément quand on parle du loup on en voit la queue ! Je suis vraiment contente de te voir ! Merci Basile d'avoir accompagnée mon amie, vous pouvez disposer.

Elle eu une petite moue brève en entendant les reproches que Katerina lui aboya presque dessus. Vraiment il n'y avait qu'elle qui semblait faire un effort pour être sociable ce soit, enfin pas que cela soit quelque chose d'important. Eh bien, les hostilités étaient lancées et Wilhermine comptait bien y faire face avec contenance et calme.

-Je suis navrée si mon invitation a pu te paraître sèche et irrespectueuse, Kate, ce n'était pas mon intention. J'ai préféré ne pas révéler mes raisons dans ma missive et les aborder de vive voix pour des raisons de sécurité.

Elle se tourna brièvement vers Levi, toujours souriante et calme, comme si il n'y avait rien dit de potentiellement vexant ou franchement insultant durant les trois dernières minutes, ou plutôt les trente dernières secondes.

-Loin de moi l'idée de chercher à vous retenir de force, je ne suis pas adepte de la violence personnellement. Puisque vous êtes là tous les deux je peux enfin vous présenter pourquoi vous êtes ici, et ce que vous avez à y gagner évidemment.

Wilhermine restait toujours très calme, mais il y eu comme un véritable changement dans l'atmosphère autour d'elle et son visage.
Un sourire léger était toujours tracé sur ses lèvres roses, mais il était désormais plus froid et calculateur, presque carnassier. L'éclat dans ses yeux d'azur était toujours aussi vif, mais c'était celui d'une intelligence dure et tranchante, et ils ne lâchaient pas les deux membres du Bataillon. Un masque venait de tomber.

-J'ai pensé qu'un échange de bons procédés ne serait pas pour vous déplaire, j'ai besoin d'un genre d'aide un peu spéciale sur certaines de mes affaires, et vous avez besoin de contacts et de finances. Ce que j'ai, en quantité, à ne plus savoir qu'en faire comme vous l'avez si bien fait remarquer, elle ponctua la fin de cette phrase d'un petit sourire presque joueur.

Voilà, maintenant soit ils étaient accrochés, soit ils allaient lui filer entre les doigts comme des anguilles. Dans tous les cas elle avait déjà trop révélé de son jeu pour que jouer les secrètes ne soit d'aucun intérêt, autant y aller franchement désormais. Le masque de la jolie poupée fragile ne lui était d'aucune utilité dans ce bureau et avec ces deux personnes, il lui fallait les épines de la rose.

-Soyons honnêtes, le Bataillon d'Exploration n'est guère en odeur de sainteté dernièrement. Et je trouve ça absolument déplorable, pour ne pas dire qu'il s'agit d'une erreur de calcul absolument catastrophique. La période de trouble actuelle n'est pas en votre faveur, absolument pas, mais je veux que le Bataillon s'en sorte avec le moins de dégâts possible et le plus rapidement possible. Je vois clairement un terrain d'entente et de coopération possible entre vous et moi actuellement. Mais si vous voulez toujours prendre la porte, je vous en pries je ne souhaite pas vous retenir contre votre gré, ça aura été un plaisir que de profiter de votre compagnie ce soir.

La jeune femme en manifesta aucune émotion devant les manifestations de violence de Levi envers sa subordonnée. Elle n'avait pas été assez protégée depuis la fin de son enfance pour croire que le monde n'était pas un lieu rempli de divers niveaux de violence. Et puis, Katerina n'était pas sous sa protection ou bien sous son autorité, la personne ayant ce pouvoir sur la rousse c'était le caporal. Alors, même si la jeune blonde n'appréciait que très modérément ce genre de manifestation de violence sous son toit, en particulier dans son bureau, elle n'allait pas moufter et laisser passer. Pour cette fois. Et puis, elle avait aussi conscience que ce n'était pas le moment de prendre à rebrousse poil le caporal, le gain potentiel était bien trop maigre et surtout incertain en comparaison avec les risques de pertes. Donc bon, Katerina allait devoir se passer de l'aide de la maîtresse des lieux, quoi qu'elle n'en voulait certainement pas.

Si elle l'avait pu Wilhermine aurait laissé échapper un soupir de soulagement ou bien un cri triomphant. Elle les avaient attrapés, cela n'avait pas été une mince affaire et encore moins gagné d'avance, mais ils étaient intéressés. Le changement d'attitude du caporal avait été brutal et évident, soudainement il se tenait comme un militaire gradé, son ton et son registre de langue n'avaient pas été épargnés dans le processus. Le jeune Weber esquissa un sourire, les inquiétudes de Levi était raisonnables et il aurait été inconscient d'accepter sans discuter l'offre que la jeune femme venait de lui faire. Mais on n'arrive pas à un poste gradé sans savoir faire preuve d'intelligence, à moins d'être sacrément pistonné. Pour le moment, la première option semblait bien plus plausible.

-Oh, je suis on-ne-peut-plus sérieuse, caporal-chef. Je suis prête à vous donner toutes les garanties que vous jugerez nécessaires, après tout si nous allons nous retrouver dans le même bateau c'est la moindre des choses.

Elle avait ses yeux bleus plantés dans ceux de l'homme, soutenant son regard et son jugement sans broncher.

-Je comprend, vous avez toutes les raisons d'être méfiant. Il est vrai que je semble avoir agi tard, mais j'ai pris la tête de ma famille il y a peu de temps. Avec le décés de mon père, il m'a fallu gérer beaucoup de choses. Et je ne voulais pas m'engager dans cette entreprise avant d'avoir assuré une certaine stabilité dans les affaires de ma famille. Katerina pourra vous donner de plus ample détail sur cet aspect de mes activités si vous le souhaitez.