Par cette heure excessivement matinale, c'était une journée banale qui s'annonçait du point de vue d'un soldat de la Garnison. Le genre qu'on peut qualifier de routine, parfois ennuyeuse, parfois moins, le fait est que ça faisait partie des rôles que chacun doit jouer. C'est le point de vue d'Irene qui peut sembler assez laxiste la dessus, le travail de la Garnison ne consiste pas toujours à abattre des titans pour sauver des civils ou bien les sauver en massacrant des rebelles. En fait en y réfléchissant un peu c'est justement ces événements qui sont censés être rares et exceptionnels, une mission d'escorte c'est simplement de la routine et il ne tient qu'à la personne en question de faire en sorte que ce ne soit pas redondant. Le bon point c'est que la personne à escorter aujourd'hui est un marchand, et un marchand ça a toujours quelque chose à raconter, surtout quand ça concerne leur fortune.

Une mission comme elle a l'habitude de faire, en somme, mais en y repensant alors qu'elle était en chemin vers le point de rendez-vous à dos de son cheval qui avançait au trot, il y avait tout de même un léger détail qui vagabondait dans la tête d'Irene depuis que cette mission lui avait été annoncée. Ce genre de détail qui force le cerveau à sauter une étape d'une seconde et marquer un arrêt de tout fonctionnement quand on s'en rend compte. Bon n'abusons rien, elle n'est pas devenue un légume l'espace d'un instant mais la femme a tiquer lorsqu'elle a appris les détails sur ses partenaires. Enfin, sur son partenaire. Une mission d'escorte ça se fait normalement entre membres de la garnison, ou à la limite avec des brigades spéciales si c'est vraiment une personne de première importance mais... Un explorateur ? Non pas que ça posait problème à la femme, contrairement à la majorité de l'humanité ces temps-ci elle n'avait rien contre la bataillon d'exploration pour sa part mais avec toutes ces histoires... N'oublions pas que le commandant des explorateurs est accusé d'avoir tué le chef des brigades spéciales et hormis la pensée que la garnison sont les seuls à bien s'en tirer pour l'instant, Irene commençait à se dire sur le coup qu'apparemment ils ne savent vraiment plus quoi en faire, des soldats du bataillon d'exploration.

Les premières lueurs du jour commençaient à peine à timidement pointer le bout de leur nez quand Irene entrait dans le district de Karanes tout en amenant sa main à sa bouche pour masquer un bâillement. Vraiment tôt cette escorte. Vraiment trop tôt. En plus, à en croire la façon dont le bruit de ses jambes heurtant gracieusement le sol quand elle sautait de son cheval résonnait dans la rue avant d'être suivi par des bruits de pas et de sabots, tous résonnant de façon harmonieuse en brisant un silence total, le marchand n'aurait eu qu'à partir seul quelques heures plus tôt pour arriver à destination sans encombre. Il faut croire que la plupart des civils ont la joie de dormir actuellement.

Mais bon, Irene ne dormait pas, elle était presque parfaitement réveillée et son corps n'attendait qu'un petit effort du soleil pour avoir le plein d'énergie quand l'aube déprimante sera partie. Pour l'instant elle arrivait tout simplement sur le lieu de rendez-vous en marchant tranquillement devant son cheval dont elle avait les lanières en main afin de guider celui-ci, son regard perçant balayant les environs en large de gauche à droite pour bien identifier les lieux et potentiellement apercevoir l'arrivée de l'une des deux personnes qu'elle attendait. Et à vrai dire, son seul espoir actuellement était qu'aucun des deux ne soit en train de dormir, ce serait du gros manque de respect à ce niveau.

Mais rien pour l'instant. Irene s'adossait donc à un mur et relativisait quand même en se disant qu'elle était arrivée un peu à l'avance et qu'ils ne devraient pas trop tarder à se montrer. Elle était tout de même assez pressée de rencontrer ceux avec qui elle allait passer une partie de sa journée si ce n'est sa journée entière. Un certain Fido Köhl pour ce qui est du marchand, sûrement quelqu'un de bien connu même si ça ne lui dit pas grand chose. Quant à l'explorateur... C'est un explorateur. On peut pas tout savoir mais elle en saura plus bien assez tôt, non ? En tout cas, une membre de la garnison, un explorateur et un marchand. On dirait presque le début d'une mauvaise blague, il ne restait plus qu'à espérer que cette journée ne soit donc ni mauvaise, ni une blague, et encore moins les deux.

Une attente de plutôt courte durée contrairement au pauvre rôliste derrière le personnage d'Arndt qui a dû attendre quelque chose comme une année entière. On prend son temps ou on le prend pas, pour le coup l'avis d'Irene était partagé pendant sa courte attente. Si ses deux partenaires étaient en retard, elle aurait le temps de se reposer un peu même si elle est réveillée depuis peu de temps. Si ils sont à l'heure, bah cette histoire sera réglée un peu plus tôt. Sur la place totalement vide de toute vie si ce n'est celle de la soldate de la garnison et son cheval placé juste à côté d'elle, la femme n'eut aucune difficulté à apercevoir son partenaire pour cette journée quand il s'engageait dans le même lieu qu'elle. Des bottes, une cape masquant un uniforme ainsi qu'un équipement, un cheval... C'était bel et bien l'une des miettes du bataillon d'exploration qui s'approchait d'elle  après s'être probablement fait la même réflexion. Et étant donné qu'il avait l'air déterminé à faire le chemin pour la rejoindre et lancer lui-même la conversation, la femme se contentait d'abord d'attendre en restant adossée au mur tout en observant l'homme de la tête aux pieds. Physiquement ce sont des êtres humains normaux, seulement qu'ils aiment bien mourir à l'extérieur des murs pour une chimère alors de là à les comparer aux titans... La population peut se montrer sacrément stupide parfois. Après cette rapide observation, elle levait juste sa main gauche en guise de salutation avant de rentrer dans la discussion histoire de ne pas lui mettre un gros vent bien désagréable.

« C'est moi. J'étais censée être à l'entretien de l'artillerie sur les murs cette semaine mais bon. Faut croire que je suis de corvée d'escorte avec ce que j'ai fait hier. »

C'est l'explication la plus logique qui traversait l'esprit de la cheffe d'escouade qui n'avait pas été très futée la veille. Une sorte de punition du genre "Bah vu que t'es trop conne t'es punie de murs et tu vas escorter un marchand toute la journée avec un type du bataillon d'explorateur au lieu de rester avec tes copains à faire semblant de travailler et jouer aux cartes !" Sérieusement, tout ça pour avoir fait glisser un boulet de canon le long du mur pour le faire tomber sur un titan tout en bas. Le canon était défectueux, il fallait bien faire quelque chose. Bon, vu qu'elle a ensuite été obligée de descendre pour terminer le titan, faut croire que sa stratégie était un peu à perfectionner mais l'idée était bonne. Elle en était convaincue. Bref le fait est qu'elle est là du coup, tout comme son partenaire. Et contrairement à leur client. Au moins ça leur laissait le temps de faire connaissance mais ça risquerait de vite devenir chiant si monsieur riche est trop en retard.

« Irene. Je suis presque sûre qu'on est à l'heure mais j'ai vue aucun marchand jusqu'ici. »

Peut-être qu'il a pris peur et a décidé de ne pas venir en apprenant qu'un membre du bataillon d'exploration allait lui servir d'escorte ? Faut dire que les riches marchants ne sont pas connus pour leur grand courage et que les amalgames sont bien souvent l'un de leurs traits de caractère. Du coup c'était une possibilité à ne pas écarter mais ça ferait quand même énormément chier que ce soit le cas. Elle aurait pu rester dans son lit ou bien partir sur les murs au lieu d'attendre pour rien... Bon on parle d'amalgames mais c'est elle qui en fait là, bravo Irene ! Sinon pour positiver on peut se dire que ça fera des heures supplémentaires tiens, donc ils seront payés plus ! Mais pour l'instant ça faisait plutôt une situation qui pourrait très vite devenir gênante, deux soldats de deux branches différentes en train d'attendre un marchand sur la place vide de Karanes... Dans un petit mouvement de son buste, Irene s'écartait du mur pour s'avancer un peu du soldat du bataillon d'exploration et ne pas passer pour une grosse feignasse qui reste dans son coin. Ce serait sujet à des interprétations étranges ça et loin d'elle l'envie de laisser croire qu'elle a une dent contre les explorateurs comme le reste de la population.

« Tu t'es porté volontaire pour participer à l'escorte ? Non pas que ça me dérange mais c'est qu'on doit sacrément manquer d'effectifs si ils en viennent à vous confier ce genre de missions. »

Bon sang qu'elle s'annonçait longue cette journée... Un marchand à escorter qui ose venir en retard, c'est déjà extrêmement dérangeant et parfait pour mal commencer la journée en l'attendant dans le froid désagréable du matin, mais... L'air d'être complètement à l'ouest, un vieil haussement d'épaules en guise de réponse, des réponses brèves... Ça c'est clairement pas la fatigue matinale et le genre de personne qui veut qu'on lui foute la paix le matin. C'est un type carrément peu loquace qu'a l'air instantanément soulé par les interactions sociale. Un bon combo annonçant une journée pas du tout intéressante, la prochaine fois elle y réfléchira à deux fois avant de faire des conneries sur les murs. C'est à croire que ses supérieurs l'ont volontairement mise avec quelqu'un représentant son parfait opposé pour la punir. Pour peu que le marchand soit aussi peu loquace elle va être à deux doigts de se foutre en l'air pour s'épargner cette mission... Mais généralement les marchands la ferment jamais n'est-ce pas ? Enfin, déjà faudrait-il que celui-ci se montre et puisque son binôme n'en pensait pas moins, ça semblait pas gagné. Faut vraiment être sacrément en retard pour faire décrocher une question à ce type visiblement, est-ce qu'ils sont au bon endroit ? De manière exagérée, la femme vint observer les environs en bougeant longuement sa tête de gauche à droite pour à la fois vérifier si un marchand était en vue, mais aussi faire comprendre à la pâtée pour titan que s'ils sont les deux ici, ce n'est pas pour rien.

« En tout cas on est là où on nous a demandé d'être. »

Cette phrase était accompagnée d'un témoignage de sa fatigue et de son manque de volonté à être ici si tôt le matin de par sa main venant se relever au niveau de son visage. Irene masquait sa bouche pour baîller, comme toute personne civilisée, avant de reprendre en essuyant une larme à son œil du revers de la main. Pourquoi est-ce qu'on chiale quand on baîlle, tiens ? Ça n'a aucun sens. Et si elle en vient à se poser ce genre de questions c'est qu'elle. Se. Fait. Sacrément. Chier.

« Tu penses qu'on peut se tirer s'il s'est gourré d'adresse ? Genre avec la règle des quinze minutes, tout ça. On est là depuis combien de temps déjà ? »

En disant ça, elle vint passer sa main gauche dans sa belle veste arborant le symbole de la garnison pour en sortir une vieille montre à gousset, habituellement rangée dans l'une des poches internes. Elle ne savait pas exactement à quelle heure elle est arrivée mais elle allait s'en faire sa propre déduction, calculant quinze minutes à partir de là, montrant au passage qu'elle était déterminée à mettre les voiles si le marchand ne se présentait pas d'ici là. Déjà qu'elle devrait être sur les murs à réviser les canons au lieu d'escorter quelqu'un, elle n'allait pas non plus gâcher sa journée à attendre. Mais malheureusement pour sa démotivation, de nombreux bruits de sabot foulant le sol se firent entendre au loin. À cette heure il ne pouvait s'agir que du marchand et vu les bruits il n'était déjà pas seul, Irene n'eut besoin que d'attendre qu'ils se montrent dans son champ de vision pour discerner deux gardes, alors pourquoi demander des soldats en plus ? Un sourcil haussé, elle n'essayait pas de cacher que ça la rendait un peu perplexe, sans compter l'allure du marchand. Elle n'est pas du genre à juger les gens à leur physique, juste à leur comportement et elle ne s'est jamais attendue à un beau-gosse quand il s'agit de rencontrer un marchand mais... C'est le genre de personne qui fait qu'on ne peut que constater que les habitants de ces murs ne disposent pas tous des mêmes ressources. À commencer par le cheval en plus de la bouffe. Sûrement un pur-sang, un cheval de compet parfaitement sophistiqué en plus d'être orné d'une barde luxueuse qu'aucun soldat ne pourrait se payer. Irene vint un instant baisser son regard pour observer la tenue recouvrant son propre corps, trouvant ça un peu triste qu'un cheval soit mieux habillé qu'elle. Mais c'est moins triste que l'allure de ce cheval. Sérieusement... Il y a une chiée de chevaux pour toutes les situations, certains extrêmement robuste et tous magnifiques, pourquoi les riches n'adaptent pas leur monture à leur morphologie ?

« Comme tu dis. »

Y'a-t-il une expression plus adéquate que ce merveilleux "Et beh putain..." ?  Zéro idées exprimées et il a pourtant tout dit, c'est incroyablement efficace. En temps normal Irene aurait laissée le marchand et sa garde venir à eux mais vu l'état de la monture du riche, elle s'en voudrait de ne pas épargner au moins une poignée de pas à ce pauvre animal. Sans dire un mot de plus à son partenaire, elle se contentait d'un petit sifflement pour ordonner à son cheval de la suivre, entamant donc une marche à la fois rapide et calme accompagné de sa monture pour venir rejoindre tout ce petit groupe jusqu'à ce qu'ils soient à une distance suffisante pour permettre au marchand de s'arrêter. Et surtout d'enfin permettre à sa monture de se reposer un tant soit peu.

« Pile à l'heure. dit-elle avec un léger sourire au coin des lèvres pour masquer à la fois son ironie et son seum. Je vois que vous avez déjà de la compagnie, il y a quelque chose qu'on devrait savoir ? »

Elle n'allait pas mâcher ses mots pour quelque chose qui l'intriguait et pouvait se révéler être un détail important. Des soldats suffisent, si en plus de leurs services il se paye ceux de deux gorilles c'est certainement pas pour rien.